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Retour vers Le cothurne étroit

Pirouésie 2015

Lundi matin

talus millénairesplantations successives
stratégiques
conduite bonnevenue belle
Europe
 
remembrer
ressemer
célébrer
les rebelles
 
plantes innombrablesfée manquante
chemin


Lundi après-midi – 1

Un jeune homme de 27 ans a tenté de dévaliser l'agence de la Société Générale dans la commune de Poil (Nièvre). Pénétrant à deux heures du matin par la porte arrière, il est arrivé par erreur dans la boutique voisine, un sex-shop. Il est semble-t-il tombé sous le charme de plusieurs mannequins de silicone auxquels il a rendu des hommages appuyés. Le gérant du magasin l'a découvert à huit heures trente, endormi dans l'arrière-boutique au milieu de nombreux cartons ouverts. Le commandant de la gendarmerie a déclaré que c'était la première fois qu'il prenait sur le fait un cambrioleur à Poil.


Lundi après-midi – 2

Le Pape chassé d'un vestiaire de foot

Un vigile de la société SafeStadium a été licencié mardi 18 après avoir expulsé un individu qui rôdait dans les vestiaires du Milan AC. Le rôdeur n'était autre que le Pape François qui venait de participer à la cérémonie de bénédiction de la nouvelle pelouse du club. À la demande de plusieurs joueurs, le souverain pontife s'était ensuite rendu dans les vestiaires pour bénir les nouvelles douches, un geste spontané qui n'était pas prévu dans le programme communiqué aux services de sécurité. Selon les premiers éléments de l'enquête, le vigile, un athée, aurait reconnu que le visage papal « lui disait quelque chose » et l'aurait pris pour celui d'un des supporters interdits de stade dont les portraits avaient été distribués à tous les agents. Le Vatican n'a fait aucun commentaire.


Lundi après-midi – 3

Une maladie très gênante

Le président François Hollande a annulé le dîner officiel qui devait avoir lieu hier soir à l'Élysée en l'honneur du prince héritier de Poldévie en visite d'état à Paris. Selon le communiqué du service de santé de la présidence, l'indisposition dont il souffre est bénigne et ne l'empêche pas de travailler normalement mais peut s'avérer embarrassante lors d'une réception publique en raison des flatulences exceptionnellement odoriférantes qu'elle entraîne. Trois sociétés textiles ont été sollicitées en vue de procurer au président un caleçon susceptible d'absorber les odeurs mais aucun des produits proposés n'a réussi les tests exigés par le service du protocole. L'annulation du dîner s'est avérée la seule solution satisfaisante.


Mardi matin – 1

Cet orme qu'un ami nous a apporté dans une remorque pour remplacer tous ceux du jardin morts de la graphiose. Il se porte comme un charme.

Le sapin abattu par la tempête de 1999 qui est resté longtemps appuyé sur le balcon du troisième étage.

Un petit arbre incliné en surplomb au bord du chemin où je me cognais la tête à chaque fois que je passais. Chaque fois je me disais que je finirais par repérer l'endroit et serrer automatiquement sur l'autre côté du chemin. L'arbre a été abattu avant que j'aie réussi à prendre cette habitude.

En Californie, un sequoia au tronc si large qu'il a été percé pour faire passer la route au travers.

Le chêne que mon père a planté en pensant qu'il n'en profiterait pas mais que ses arrière-petits-enfants lui seraient reconnaissants. Vingt-cinq ans plus tard, le chêne est magnifique et mon père en pleine forme.


Mardi matin – 2

Vigne vierge au printemps, gazon semé de fleurs,
Espoir de temps meilleurs, trèfle quadrisépale,
Rugissement du feu déchaînant les moteurs,
Turbans, livres, drapeaux lorsque la foi s'étale.

Venise, Murano, flammes, souffleurs, fileurs,
Écrins minutieux à la candeur d'opale,
Reflets iridescents, danse de cent couleurs,
Teinte d'anciens vitraux dans la nef cathédrale.

Vibrion souterrain labourant sans un bruit,
Encombrant parasite objet de folles craintes,
Ruine du maraîcher embusqué dans le fruit.

Voix du poète, écho d'une émotion enfouie,
Expression libérée au milieu des contraintes,
Rime, scansion, mètrique, attouchement de l'ouïe.


Mardi matin – 3

Quand je m'approche de cet échiquier de marbre,
le soleil de la Crète inonde ma mémoire :
Chania, ruelle étroite, un Guide du Routard...
Dans la vitrine, au fond, un échiquier de marbre,
des pièces en argent, les autres sont en cuivre.
Des héros et des dieux affrontent des soldats
alignés aux deux bouts de l'échiquier de marbre.
Le marchand, francophile, est un ancien champion ;
il a joué, nous dit-il, contre Viktor Kortchnoï.
Souvenirs, souvenirs, vrais ou faux, je ne sais,
mais je repars lesté de l'échiquier de marbre.


Mardi matin – 4

Quand je m'approche de cet olivier, le soleil de la Crète inonde ma mémoire : Chania, ruelle étroite, un Guide du Routard... Devant la boutique, un olivier, des feuilles argentées, les autres cuivrées. Des héros et des dieux affrontent des soldats alignés à l'ombre de l'olivier. Le marchand, francophile, est un ancien officier ; il a combattu, nous dit-il, le général Kortchnoï. Souvenirs, souvenirs, vrais ou faux, je ne sais, mais je repars avec un rameau d'olivier.


Mardi après-midi

Oh qu'il est joli mon rasoir,
Rasoir neuf, rasoir électrique !
   Refrain :
Barbier, coupe et taille ma barbe,
Qu'elle soit belle et magnifique.

Le rasoir ne veut tonsurer
Que de la gorge à l'ombilic.
   Au refrain

Que fera-t-il si je suis glabre ?
Pas le plus petit poil, bernique !
   Au refrain

Faudra-t-il que je me recouvre
De la peau d'une vieille bique ?
   Au refrain


Écoutez cette chanson chantée par son auteur ou téléchargez le fichier MP3.


Jeudi matin – 1

Que ce visage est torve et déséquilibré !
Une rare toison d'une blancheur spectrale,
Le front est bas et lourd, légèrement bombé,
Des sourcils marron clair de longueur inégale.

Le regard est fuyant, les yeux trop écartés,
Les pommettes ont comme une allure orientale,
L'oreille est si béante, on craindrait d'y tomber,
Le nez frappe surtout par sa forme banale.

La barbe de trois jours étale un halo gris,
Au-dessus de la bouche, un disgracieux repli,
Les lèvres cachent mal la denture incomplète.

Le menton, c'est visible, a reçu quelques gnons,
Un cou parcheminé comme une peau d'oignon,
C'est, on ne peut le nier, une étrange binette.


Jeudi matin – 2

Je vois une chevelure qui se détache sur le mur inondé de soleil, je ne vois pas sur quoi les yeux sont baissés.

J'entends des voix éloignées en décalage avec la concentration proche comme dans un film mal synchronisé.

Je sens en elle une tension, un relâchement, une musique intérieure. À quoi je sens cela, je ne saurais le dire.

Je me souviens de la première fois que nous nous sommes rencontrés. C'était justement ici, mais ce n'est pas une coïncidence.

J'ignore à quoi elle pense et pourtant j'en sais tout de même pas mal. À vrai dire, il est rarissime que l'on en sache autant sur ce qui occupe les pensées de la personne qui nous fait face, surtout quand on se connaît à peine.

Je suis sûr que d'autres ont regardé ce visage bien plus longuement et plus attentivement que je ne le fais et je serais curieux de savoir ce qu'ils en auraient écrit.

Je parie que quand je relirai ce texte plus tard je penserai à tout ce que j'aurais pu écrire de mieux inspiré.

Je me demande si l'inspiration serait significativement différente si l'on écrivait face à un miroir.

Je pense à tous les visages que j'ai connus, qui semblent si différents à nos yeux d'humains chargés d'affectivité et pourtant si semblables dès que l'on prend un peu de recul.

Je ressens une nostalgie de mes yeux d'autrefois.


Vendredi matin

Relève la tête, fière nation ! Ne vois-tu pas comme tes fils se sont amollis sous le joug de l'envahisseur anglais ? Ô, Irlande éternelle, quelle eau croupie coule à présent dans tes lacs insondables ? Qui a dépeuplé tes forêts du gibier qui nourrissait tes héros d'autrefois ? Ne reste-t-il rien de tes traditions millénaires dans la tête de tes enfants dispersés aux quatre coins du monde ? Oh, sois-en sûre, cette tête est restée irlandaise, et pour toujours les mots, les souvenirs, les chansons, les légendes du pays natal y tournent. Héritiers d'une race indomptable, jamais ils ne pourront la renier. Comme l'ont fait tes ancêtres quand le malheur s'abattait sur eux, tu te redresseras, tu reconquerras ta dignité ! Verte Irlande, ressaisis-toi ! Retourne, Erin, à ta liberté ! Quand tes fils et tes filles se lèveront, rien ne pourra les arrêter.


Vendredi après-midi – 1

viens
chez nous
malheureux
tout ira mieux
nous t'offrons
nos bons
vœux

Dieu
nous voit
il sait tout
il comprend tout
il devine tout
il pénètre partout
il est le grand Manitou
il boit et mange tout
il purifie tout
il détruit tout
et pour lui
nous sommes
tout


Vendredi après-midi – 2

Monte[lever les deux mains au-dessus de la tête]
vers moi[les deux mains sur la poitrine]
reste droit[bras gauche le long du corps, main droite sur la poitrine]
soutiens ta foi[main droite sur le ventre]
ouvre-toi à l'autre[bras droit le long du corps, bras gauche tendu sur le côté à l'horizontale]
offre ton cœur[main gauche sur la poitrine]
tous ensemble[les deux mains sur la poitrine]
unis[les deux mains sur la poitrine, doigts entrelacés]
montent[mains au-dessus de la tête, doigts entrelacés]


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Nicolas Graner, juillet 2015, Licence Art Libre