« Un premier Gaudé avant la guerre »
Pourquoi ce petit clin d'oeil au dernier verre de
Lehane ?
Au moins trois bonnes raisons à cela. Un, il s'agit de leur premier roman qui les a fait connaitre et je suis devenu un fervent admirateur de ces deux grands auteurs de talent. Deux, la guerre peut être mondiale comme en 14-18 en Europe ou une guerre des gangs comme dans la banlieue de Boston…. Et trois, j'ai repensé à cette scène dans le roman où cet officier, le lieutenant Rénier, avant de charger pour s'emparer d'une tranchée ennemie, partageait sa fiole de gnôle avec ses hommes jusqu'à la dernière goutte pour tenter de faire face à la peur. Cette peur de mourir avant l'assaut !
Après avoir découvert et apprécier
Laurent Gaudé dans «
le soleil des Scorta », je me suis donc plongé dans son roman écrit en 2001, décrivant l'horreur de la guerre des tranchées en 1914. Un seul mot, «
Cris».
Mais de quels
cris s'agit-il dans ce livre ? Et pourquoi ?
L'auteur compare dans son roman les avancées des combattants, de tranchée en tranchée, à des vagues qui se déversent telles de lames de fond. En l'occurrence, ce mot «
Cris » m'a évoqué irrésistiblement la superbe chanson de Balavoine «Tous les
cris les S.O.S.» et cette bouteille jetée à la mer. En parcourant les paroles de ce titre, j'ai constaté des similitudes étonnantes et troublantes avec le récit de Gaudé.
« Et je cours
Je me raccroche à la vie
Je me saoule avec le bruit
Des corps qui m'entourent
Comme des lianes nouées de tresses
Sans comprendre la détresse
Des mots que j'envoie »
Je me voyais regarder cette scène où notre lieutenant, après le déluge d'une pluie d'obus sur les positions adverses, lançait l'attaque en haranguant ses soldats et tombait dans la tranchée ennemie jonchée de cadavres allemands.
D'autres
cris surgissent également du champ de bataille. Outre ceux des blessés, ou pire des gazés, des
cris d'un mi-homme mi-animal sèment le trouble sur les positions avancées. Comme
Lansdale et son « Homme-chèvre » des « Marécages » ou encore Crabb et Willie le Siffleur dans « La bouffe est chouette à Fatchakulla », Laurent Gaudet met en scène l' «Homme-cochon», un soldat fou et hirsute, qui se joue des éclats d'obus et des balles entre les deux lignes ennemies.
Vous l'aurez donc compris, c'est un roman qui ne se veut pas historique mais littéraire focalisé sur les émotions ressenties par ces hommes au front, Rénier, Boris, Marius… et de Jules, un soldat échappant aux combats grâce au billet bleu de permission accordé pour une semaine.
Cette écriture magnifique, qui donne la parole à chacun des personnages à tour de rôle, illustre parfaitement cette guerre de tranchée si cruelle et inhumaine. Pour moi, Gaudé réussit à capter toute l'attention du lecteur du début à la fin grâce à cette alternance entre le front et le récit de Jules loin des tranchées. Un peu comme si l'auteur nous permettait de souffler à l'image des relèves de soldats durant la guerre. Mais le répit s'avère de courte durée…
Finalement, je considère ce livre comme une vraie réussite qui met en lumière toutes les émotions et souffrances qu'ont vécues et subies nos ancêtres français il y a tout juste un siècle. Comment ne pas évoquer, pour conclure, le souvenir de mon arrière-grand-père paternel, que j'ai eu la chance de côtoyer tout jeune, qui avait survécu à la guerre 14-18, notamment d'un éclat d'obus grâce à son portefeuille ! Oui, un miracle qui changera le destin d'une vie…comme un des soldats dans le roman.
Jetez-vous donc à cor et à «
Cris » sur l'oeuvre somptueuse de
Laurent Gaudé !